DE 1875 À NOS JOURS | LA MÉMOIRE VIVANTE DE LA MAISON DES FRANÇAIS : LE CALVAIRE

Notre regrettée amie Anny Fages, membre de longue date de la SFQ, avait entamé un travail de recherche qu’en sa mémoire nous ne devons pas laisser inachevé. Comme j’ai eu l’occasion de participer avec elle à quelques travaux de reconnaissance, je prends aujourd’hui le relais. Tout commence par une belle journée du printemps de 2010 : alors présidente de l’Association des universitaires français de la région de Québec (AUFREQ), Anny venait de terminer la préparation de la salle polyvalente pour une conférence et avait décidé avec quelques amis de prendre l’air en se promenant sur la colline boisée située en arrière de la maison,  propriété de la SFQ.

On découvre d’abord en bas une construction en ruines de ce qui fut une ancienne chapelle, puis sur la droite une grotte avec une statue aujourd’hui disparue (sans doute de la Vierge Marie), un bassin en forme de baptistère creusé dans le  granit et alimenté par une source artificielle provenant d’un puits creusé directement dans la roche et situé 300 pieds en amont. La tuyauterie amenant l’eau à la grotte est toujours visible par endroits.

En montant le sentier jusque vers le haut de la colline, on découvre alors un calvaire, presque grandeur nature, relativement bien conservé bien qu’il ne soit pas protégé par un édicule. Que fait donc là cet ensemble religieux ? Ce calvaire, cette grotte, ce baptistère, cette chapelle en ruines ? Sa curiosité étant piquée, Anny résolut d’éclaircir le mystère et elle commença son enquête.

Le terrain avait été acheté par la SFQ le 9 octobre 1984 à la suite d’une succession. Pour remonter à la source, Anny s’adressa à la Société d’histoire de Charlesbourg, en particulier à René Cloutier qu’elle connaissait et qui avait été président de cette association. Dans les locaux de la Société à Charlesbourg elle trouva une photo de la grotte publiée dans un magazine pour les 75 ans d’existence de cette société. Elle y ajouta celles qu’elle avait prises du calvaire et en parla autour d’elle aux amis et parents. Le bouche-à-oreille fonctionna si bien qu’elle reçut un appel de José Doré la référant à Lucille Alain, une des petites-filles de la précédente propriétaire. Lucille se montra fort intéressée et revint sur les lieux de son enfance. Puis elles firent ensemble maintes visites d’églises, de couvents, elles firent des appels téléphoniques, entre autres à la Société italienne de Québec pour retrouver les noms des modeleurs. Lucille lui donna des photos des processions parues à l’époque dans les journaux. Ce travail commun, enthousiaste, lui permettra de réunir les éléments pour écrire un article. Malheureusement, lors du décès d’Anny, nombre de ces documents furent perdus (Anny était partie en novembre pour Toronto avec le dossier du calvaire, tant il lui tenait à cœur d’en terminer avant Noël 2011).

Revenons aux années 1940-1950. Les précédents propriétaires de ce terrain étaient M. Odilon Côté, décédé le 25 juin 1962 à l’âge de 61 ans et Mme Delphine Aubert, son épouse, décédée en janvier 1977 à l’âge de 79 ans. Cette dernière, d’une piété remarquable, avait fait le vœu dans les années 1930 d’ériger une grotte dédiée à la Sainte Vierge à laquelle elle portait une dévotion particulière, en remerciement d’une faveur obtenue par son grand-père (la tradition des ex-voto a toujours été très forte au Québec depuis le XVIIe siècle). Ce fut le tout début.

Dans les années suivantes, une cérémonie religieuse était célébrée en fin de semaine aux alentours du 15 août. Limitées à proximité de la grotte au début, elles s’étendirent au fur et à mesure des nouvelles constructions. Elles ont cessé à la mort de Mme Côté.

Le calvaire est constitué de la croix et de trois autres personnages : la Vierge Marie, Marie-Madeleine et saint Jean. Les processions empruntaient le petit chemin avec un arrêt en bas à droite à la grotte Notre-Dame-de-la-Pureté, un second arrêt en bas à gauche à la petite chapelle qui abritait  les objets du culte, soit deux petits bâtiments de 25 à 30 pieds de long; ensuite, un peu plus loin à droite, on faisait halte au puits-réservoir qui alimentait la grotte par ses 200 pieds de tuyaux de cuivre. Les photos fournies par Lucille Alain témoignent bien de leur existence. On peut imaginer le faste de ces pèlerinages dans ce très beau décor.

Les bénédictions ont eu lieu successivement en 1943 pour la grotte nommée Notre-Dame-de-la-Pureté, en 1945 pour l’eau de source du réservoir, en 1955 pour la chapelle;  le curé Bernier bénit ces trois premières. Le curé Lamontagne officia en 1958 pour le calvaire. Les deux prêtres étaient curés de la paroisse Notre-Dame-des-Laurentides. La recherche des noms fut difficile car la paroisse n’avait gardé aucun document, le financement étant assuré dans le cadre d’une réalisation privée.

Tous les travaux échelonnés entre 1940 et 1958 – sauf le calvaire – ont été réalisés par M. Odilon Côté avec l’aide bénévole de la communauté. Qui donc avait construit et érigé le calvaire ? Quel modeleur ? Quel atelier ? Une autre recherche… Nous avons brossé le socle en béton, la base des statues et de la croix, mais, malgré nos ardeurs, nous n’avons trouvé aucune inscription. Les ateliers de modeleurs Barsetti & Frères, Barsetti et Manucci de Québec, Petrucci & Carli de Montréal n’existent plus. Nous avons retrouvé la trace de Mme Gisèle Barsetti qui nous a conduits à un ancien compagnon de l’entreprise, M. Paul Bargone, un passionné qui est venu gentiment avec nous sur la colline. Sa réponse fut rapide : c’est la Maison Petrucci & Carli qui réalisait ce genre de calvaire. Un merci spécial à cet enthousiaste du métier de modeleur et statuaire qui continue à travailler chez lui sur des monuments de moindre taille.

Si nous n’avons pas trouvé d’inscriptions à la base des statues malgré nos ardeurs à l’huile de coude et à la brosse métallique, c’est probablement parce que ce calvaire est une copie d’un original qui serait arrivé comme d’autres des ateliers d’Europe, en particulier d’Italie et de France. Il faudrait  maintenant élargir nos recherches.

Les statues n’ont pas eu d’entretien pendant des années et elles ont besoin de réfection. S’il y a des volontaires, on peut desceller les statues, les descendre individuellement à dos d’homme, les mettre dans un sous-sol de qui se trouvera un beau passe-temps pour l’hiver. Les directives pour le nettoyage et les réfections peuvent vous être données par Paul Bargone.

Où est passée la statue de la Sainte Vierge ? Où se trouvent les objets religieux ? Nos recherches auprès du Diocèse de Québec, des différents musées de la ville n’ont pas donné grand chose. Normalement, ils pourraient avoir été remis au Juvénat du Bon-Pasteur.

Lucille Alain se souvient parfaitement des travaux qu’elle effectuait avec sa grand-mère. Lors de la fête du 15 août, les lampions, chapelets, comme maints autres objets religieux étaient fabriqués à la maison. Tout cela demandait du temps, de l’adresse et devenait pour elle un jeu. Les photos des journaux de l’époque témoignaient de la participation et de l’engouement collectifs.

Ce calvaire, ces statues sont autant de témoignages d’une période, pas si lointaine, du passé du Québec, en particulier dans ce lieu devenu la propriété de la SFQ. Un pays, une culture se bâtissent lentement. Les temps changent, mais par respect pour ce lieu, pour les Québécois, il nous appartient de respecter et de garder en mémoire ce qui s’est passé autrefois, voire de redonner vie à ce lieu.

N’oublions pas que la Société française de Québec fut créée en 1875 !

Georges Mosser en mémoire d’Anny Fages

En collaboration avec Françoise Tétu de Labsade et Lucille Allain

Québec, octobre 2012

Bénévoles de la SFQ, vous  étiez attendus… et vous êtes venus !

Tous peuvent maintenant admirer le Calvaire rénové grâce à l’équipe réunie par Ginette et Pierre Maupu : Colette et Pierre Trochet, Émile Pesanti, Liliane et Georges Mosser. Un grand merci à Tous !